Rencontre avec l’Être du temps
Le Shabbath entre Rosh Hashana et Kippour nous lisons traditionnellement un passage du prophète Osée (Oshéa) qui
commence par : « Reviens Israël jusqu’à l’Eternel ton Dieu, car tu as trébuché dans ta faute ». « Reviens » se dit en hébreu « chouva », d’où le nom de ce samedi « Shabbath Chouva
».
Revenons sur cette notion de téchouva qui a donné son nom à cette période de dix jours entre Rosh Hashana et
Kippour.
Contre une vision fataliste :
Le prophète Osée, qui eut des propos très durs à l’encontre d’Israël parce qu’il suivait les idolâtries cananéennes,
appelle le peuple à revenir vers Dieu. La faute est entendue comme un éloignement de Dieu, d’où l’invite au retour, au rapprochement. Ici, le prophète refuse la fatalité de la faute. Il n’y a pas
d’égarement qui ne puisse être corrigé, à condition de vouloir corriger. Pas de péché indélébile donc, mais une porte toujours ouverte pour accomplir la volonté divine. L’homme n’est prisonnier
ni de son passé, ni de ses attitudes anciennes.
Si la conception fataliste envisage le temps comme une droite rectiligne où le passé est toujours derrière l’homme, la
conception prophétique envisage le temps comme l’espace. De la même manière que le sujet peut se déplacer géographiquement d’avant en arrière et d’arrière en avant, de même la conscience peut
réaliser un voyage équivalent, entre passé et futur et entre futur et passé[1]. Nous pouvons alors parler d’une conception spatiale du temps. Ce que la Torah nomme le ohel moëd « tente du
rendez-vous », cette tente qui contenait l’arche d’Alliance, peut s’entendre aussi « l’espace du temps ». C’est de ce lieu que la parole divine parvenait à Moïse.
Cette approche spatiale du temps est très importante au plan de la foi religieuse, car elle sous-tend le principe de la
téchouva.
La force de la volonté :
Maïmonide, qui a codifié les lois de la téchouva dans son Mishné Torah, donne les trois étapes de ce retour vers Dieu :
Rappel de la faute (Passé) : Tel est le travail de mémoire qu’un homme peut réaliser en n’importe quel temps et
n’importe quel lieu, mais tout particulièrement pendant les dix jours de téchouva.
Enonciation de la faute (Présent) : c’est ce que nous faisons le jour de Kippour en énonçant les différents types de
transgressions (en acte, en parole, en pensée, volontaires ou involontaires)
Engagement de ne plus fauter (Futur) : C’est souvent l’engagement de la fin de Kippour.
En fait la téchouva n’a pas besoin de Kippour, mais Kippour est donné pour prendre conscience de nos égarements et pour
nous améliorer.
Depuis l’appel d’Osée jusqu’à la codification de Maïmonide, nous constatons bien que la tradition juive s’oppose à la
conscience tragique de la faute indélébile. Une seule condition avons-nous dit : que l’homme veuille revenir vers Dieu.
Une formule rabbinique pose « rien ne résiste à la volonté » (ein davar ômed bifné haratson). Si l’homme à l’âge de ses
artères, comme on le dit communément, l’homme a aussi l’âge de sa volonté. Certes, on ne peut revenir à son corps de jeunesse, et tous les liftings
du monde n’empêcheront pas l’usure du corps, mais l’âge de la volonté aura l’effet d’une eau de jouvence. Comme le chante le psalmiste, par la volonté, l’homme « renouvelle sa jeunesse ». Selon
le midrash, le mot ratson, (volonté) vient de la racine rats = courir, à la forme superlative (comme tous les termes qui se terminent par « on »). La volonté est « une super course » qui qualifie
l’esprit d’entreprendre.
Si l’homme veut entreprendre ce retour vers Dieu, alors il réussira à revenir. Telle est la grâce divine offerte aux
fils d’Adam de pouvoir réaliser leur volonté au plan religieux et éthique.
L’Être et le temps :
Selon le Talmud, cette possibilité d’effacer le passé de la faute implique que les fautes deviennent des mérites.
Comprenons que l’effort pour annuler les mauvaises habitudes, et pour se construire une nouvelle identité, offre une plus-value à celui qui entreprend ce mouvement. Comme l’enseigne un maître : «
La première fois qu’un homme faute, il sait qu’il faute, mais la seconde fois, l’interdit est à ses yeux une permissivité ».
Nous avancerons que si ce retour dans le temps est possible, c’est que la rencontre avec le Dieu biblique n’est pas une
rencontre spatiale, mais temporelle.
Tous les dieux de l’antiquité sont des dieux de l’espace, ils habitent telle montagne ou s’identifient avec telle force
de la nature. Or le Dieu de la Torah se présente en tant qu’Être dans le temps. Telle est la réponse de Dieu à Moïse qui Lui demande Son nom : « éhié asher éhié – Je serai qui Je serai ou Je suis
qui Je suis » répond l’Eternel.
Le tétragramme YHWH est la contraction de Haya – Howé – Yiyé « Il était – Il est – Il sera ». C’est face à l’Être dans
le temps, que l’homme va pouvoir construire son propre être dans son temps personnel.
La téchouva, principe d’espérance :
On
voit le caractère révolutionnaire de la téchouva : rien n’est définitif, le déterminisme peut être brisé. Nous prendrons l’exemple de notre patriarche Abraham, qui se nomme encore Avram. Dieu lui
annonce qu’il aura une descendance. Avram est vieux, Sarah est stérile, le vieillard émet des doutes. Dieu lui dit alors : « Sors et compte les étoiles si tu peux les compter, ainsi sera ta
descendance. »
Rachi donne deux explications sur ce verset. « Selon le sens littéral, écrit-il, Dieu a demandé au patriarche de sortir
physiquement de sa tente. Il arrive en effet que le simple déplacement géographique (sortir de chez soi) nous donne une autre vision des choses. Selon le midrash, poursuit-il, Dieu lui a dit :
sors de ton thème astral, si Avram ne peut enfanter, Avraham enfantera ; si Saraï ne peut enfanter, Sarah enfantera. Je changerai vos noms et vous aurez un fils. »
Telle est la valeur de la téchouva, changer notre nom, renaître à une nouvelle vie, s’inscrire dans l’espérance du
monde, face à l’Être source de vie.
Ph. HADDAD
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[1] Il existe une règle de grammaire biblique qui se nomme la règle du waw conversif. Lorsque le waw est placé devant
un verbe au futur, il le transforme en passé, lorsque le verbe est au passé, le waw le transforme en futur. Cette règle grammaticale n’est pas anodine, elle